

Charles Jourdan, né en 1883 à Bourg-de-Péage, est une figure emblématique de l’industrie de la chaussure française. Issu d’une famille modeste, il débute comme coupeur – à l’époque un poste de prestige – dans les Établissements Grenier, une entreprise pionnière de la chaussure pour femmes à Romans-sur-Isère. Après avoir acquis une solide expérience, il décide en 1919 de créer sa propre entreprise avec sa femme Augusta et deux collègues. Situé à Bourg-de-Péage l’atelier attire rapidement une clientèle féminine conquise par la qualité et le confort de ses chaussures.
En 1921, pour faire face à la demande croissante, Charles Jourdan construit sa première usine boulevard Voltaire à Romans-sur-Isère. Celle-ci emploie 30 ouvriers. Cette première étape marque le début de l’expansion de l’entreprise. Au fil des années 1920-1930, Charles Jourdan développe une ligne de chaussures féminines de luxe. Il met en avant la solidité et la qualité des cuirs utilisés, sans pour autant céder aux extravagances parisiennes de l’époque. Il se révèle aussi un gestionnaire avisé, en lançant la marque Seducta et en assurant une large distribution de sa production à travers la France.
La crise économique des années 1930 et la seconde guerre mondiale mettent l’entreprise à l’épreuve. Face aux pénuries de matières premières et aux réquisitions militaires, la production de chaussures de luxe est fortement réduite. L’effectif est amputé de moitié et l’entreprise doit se tourner vers la fabrication de chaussures militaires. Malgré ces difficultés, Charles Jourdan garde le cap et forme ses trois fils – René, Charles et Roland – à prendre le relais.
Après la guerre, l’entreprise Jourdan connait un nouvel élan grâce à la reprise économique et à l’apport des trois fils qui s’engagent dans l’entreprise à la suite de leur père. L’accent est mis sur l’exportation et l’innovation. L’entreprise Jourdan conquière les marchés internationaux avec ses produits de luxe. La marque s’implante à l’étranger, notamment aux États-Unis où elle connaît un succès grandissant. A la fin des années 50, la production atteint 900 paires de chaussures par jour et de nouvelles boutiques sont ouvertes, dont une prestigieuse à Paris en 1957. Ce succès est également soutenu par des collaborations avec des couturiers célèbres tels que Yves Saint-Laurent et Christian Dior.
Dans les années 1960, l’entreprise se diversifie avec la diffusion d’accessoires et élargit son réseau de franchises à l’international. Elle collabore avec le photographe Guy Bourdin pour une publicité novatrice qui marquera l’identité visuelle de la marque. En 1971 l’entreprise emploie 2000 personnes dans ses usines de Romans, Annonay et Tournon. Cependant à la mort du fondateur en 1976, des tensions apparaissent au sein de la famille. Des divergences quant à la stratégie de l’entreprise conduisent à l’entrée au capital du groupe américain Genesco qui devient actionnaire majoritaire en 1979. En 1981, Roland Jourdan prend sa retraite, marquant la fin de l’ère familiale de la société.
Charles Jourdan décédé à l’âge de 93 ans, aura consacré sa vie à l’entreprise. Homme affable et proche de ses ouvriers, il laisse l’image d’un patron respecté et attentif. Sa gestion rigoureuse et son savoir-faire ont permis de faire de sa marque l’un des plus grands noms de la chaussure française de luxe du XXe siècle. Aujourd’hui, bien que la marque soit passée sous contrôle étranger, elle reste ancrée dans l’histoire et l’identité de Romans-sur-Isère et lui doit largement sa renommée de capitale de la chaussure de luxe.